Le 26 février 2025, après le meurtre de dame Ahou Adou Djénéba, la Ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfant, Nasseneba Touré, a utilisé le terme "féminicide" dans ses propos de condoléances. Ce mot est également utilisé par les associations féministes. Que signifie-t-il ? Quel est l'état des lieux en Côte d'Ivoire ?
C'est quoi le féminicide ?
Le terme "féminicide" désigne le meurtre d'une femme ou d'une fille en raison de son sexe. Ce mot, bien que relativement récent dans l'usage courant, trouve ses racines dans les années 1970, lorsqu'il fut proposé par des féministes pour nommer une réalité spécifique et largement ignorée par le droit pénal classique.
La sociologue sud-africaine Diana Russell est l'une des premières à avoir popularisé le terme en 1976 lors du premier Tribunal international sur les crimes contre les femmes à Bruxelles. Elle l'utilise pour désigner "le meurtre de femmes par des hommes parce qu'elles sont des femmes".
Le contexte historique
Bien que le concept soit relativement nouveau dans la langue, la réalité du féminicide est ancienne. Depuis des siècles, dans différentes sociétés, les femmes ont été victimes de violences extrêmes menant à leur mort, souvent avec l'assentiment implicite ou explicite des structures de pouvoir.
Dans la Rome antique et au Moyen Âge, le meurtre de femmes accusées de sorcellerie ou d'adultère était courant ;
En Amérique latine, où les violences contre les femmes sont particulièrement prégnantes, le terme "feminicidio" a été adopté dans les années 1990 pour qualifier l'extrême gravité des meurtres de femmes, notamment au Mexique et en Argentine.
Une reconnaissance juridique progressive
Si les sociologues et les féministes ont joué un rôle essentiel dans la diffusion du terme, ce n'est qu'au début du XXIe siècle que les institutions internationales et certains États ont commencé à reconnaître spécifiquement le féminicide dans leurs lois.
En 2007, le Salvador est l'un des premiers pays à inscrire ce crime dans son code pénal ;
En 2012, l'Organisation des Nations unies (ONU) intègre la notion de féminicide dans ses rapports sur les violences basées sur le genre ;
La France, après des années de débat, a officiellement reconnu le terme en 2019 dans le cadre du Grenelle des violences conjugales.
Une hausse alarmante des féminicides en Côte d'Ivoire
Ces dernières années, la Côte d'Ivoire a connu une augmentation significative des cas de féminicides. Le 11 septembre 2024, le meurtre d'une jeune femme de 19 ans à Abidjan a ravivé l'inquiétude. Son corps a été retrouvé dans une résidence meublée à Cocody, et l'auteur présumé, qui a reconnu les faits, a déclaré avoir agi sous prétexte d'un vol d'argent.
Quelques mois auparavant, le 10 avril, un militaire avait tué son épouse avant de retourner l'arme contre lui à Bingerville. Le 31 mars, une femme mariée avait été assassinée par son mari à Maféré, avant que ce dernier ne soit appréhendé au Ghana.
Selon l'ONG CPDEFM, en 2020, pas moins de 416 femmes ont perdu la vie à Abidjan suite à des violences liées à leur genre. Par ailleurs, l'ONG Akwaba Mousso signale que plus de 2 femmes sont violées chaque jour dans le pays. D'après le Programme national de lutte contre les violences basées sur le genre (PNLVBG), une femme sur 3 a été victime de violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie.
Continuing
Continuant dans les chiffres, la coalition Toutes unies pour nos vies, dont fait partie l’Organisation pour la Réflexion et l’Action Féministe (ORAF) a recensé des chiffres alarmants.
Les féminicides en Côte d’Ivoire touchent principalement des jeunes femmes :
La tranche d’âge des 20 à 30 ans représente 30,4 % des victimes recensées, tandis que les pré-adolescentes et adolescentes (10-20 ans) constituent 13 % des cas ;
Les formes de violence les plus fréquemment observées dans ces crimes sont les agressions physiques, suivies des violences combinant brutalité physique et sexuelle ;
Les armes blanches figurent parmi les moyens les plus utilisées, avec une prévalence marquée de l’égorgement, qui represente plus de 15 % des cas repertoriés.
Pourquoi cette appellation ?
Le mot "féminicide" est né d'un besoin de mettre le bon mot sur ce phénomène social qui touche les femmes en raison de leur genre. Avant on parlait soit de "meurtre" ou "homicide".
L'usage de ce terme vise à :
Reconnaître les spécificités du crime, notamment le mobile sexiste ;
Favoriser la mise en place de politiques publiques ciblées ;
Sensibiliser l'opinion publique sur l'ampleur du phénomène et ses causes profondes ;
Obtenir une reconnaissance juridique du féminicide, comme le demandent les organisations de défense des droits des femmes en Côte d'Ivoire.
Le terme "féminicide" est donc bien plus qu'un simple mot ; il est le reflet d'une prise de conscience mondiale face à des violences systémiques. Où en est la Côte d'Ivoire dans la pénalisation de ce crime ?